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Les confessions.

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مُساهمة  Admin الأربعاء مارس 18, 2009 3:36 pm

Les confessions.

En 1749, Rousseau apprend que Diderot, embastillé pour la publication de sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, vient d’être transféré au château de Vincennes où il est autorisé à recevoir la visite de ses proches. Tous les deux jours, il se rend auprès de lui.

Cette année 1749, l’été fut d’une chaleur excessive. On compte deux lieues de Paris à Vincennes. Peu en état de payer des fiacres, à deux heures après midi j’allais à pied quand j’étais seul, et j’allais vite pour arriver plus tôt. Les arbres de la route, toujours élagués, à la mode du pays, ne donnaient presque aucune ombre, et souvent, rendu de chaleur et de fatigue, je m’étendais par terre, n’en pouvant plus. Je m’avisai, pour modérer mon pas, de prendre quelque livre. Je pris un jour le Mercure de France, et tout en marchant et le parcourant, je tombai sur cette question proposée par l’Académie de Dijon pour le prix de l’année suivante : si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les moeurs.

A l’instant de cette lecture je vis un autre univers, et je devins un autre homme. Quoique j’aie un souvenir vif de l’impression que je reçus, les détails m’en sont échappés depuis que je les ai déposés dans une de mes lettres à M. de Malesherbes. C’est une des singularités de ma mémoire qui méritent d’être dites. Quand elle me sert, ce n’est qu’autant que je me suis reposé sur elle : sitôt que j’en confie le dépôt au papier, elle m’abandonne ; et dès qu’une fois j’ai écrit une chose, je ne m’en souviens plus du tout. Cette singularité me suit jusque dans la musique. Avant de l’apprendre je savais par cœur des multitudes de chansons ; sitôt que j’ai pu chanter des airs notés, je n’en ai pu retenir aucun ; et je doute que de ceux que j’ai le plus aimés j’en pusse aujourd’hui redire un seul mot tout entier.

Ce que je me rappelle bien distinctement dans cette occasion, c’est qu’arrivant à Vincennes j’étais dans une agitation qui tenait du délire. Diderot l’aperçut : je lui en dis la cause, et je lui lus la prosopopée de Fabricius, écrite au crayon sous un chêne. Il m’exhorta de donner l’essor à mes idées, et de concourir au prix. Je le fis, et dès cet instant je fus perdu. Tout le reste de ma vie et de mes malheurs fut l’effet inévitable de cet instant d’égarement.

Mes sentiments se montèrent, avec la plus inconcevable rapidité, au ton de mes idées. Toutes mes petites passions furent étouffées par l’enthousiasme de la vérité, de la liberté, de la vertu, et ce qu’il y a de plus étonnant est que cette effervescence se soutînt dans mon coeur, durant plus de quatre ou cinq ans, à un aussi haut degré peut-être qu’elle ait jamais été dans le coeur d’aucun autre homme.

Je travaillai ce discours d'une façon bien singulière, et que j'ai presque toujours suivie dans mes autres ouvrages. Je lui consacrais les insomnies de mes nuits. Je méditais dans mon lit les yeux fermés, et je tournais et retournais mes périodes dans ma tête avec des peines incroyables ; puis, quand j'étais parvenu à en être content, je les déposais dans ma mémoire jusqu'à ce que je pusse les mettre sur le papier ; mais le temps de me lever et de m'habiller me faisait tout perdre, et quand je m'étais mis à mon papier il ne me venait presque plus rien de ce que j'avais composé. Je m'avisai de prendre pour secrétaire madame le Vasseur. Je l'avais logée avec sa fille et son mari plus près de moi, et c'était elle qui, pour m'épargner un domestique, venait tous les matins m'allumer mon feu et faire mon petit service. A son arrivée, je lui dictais de mon lit mon travail de la nuit, et cette pratique, que j'ai longtemps suivie, m'a sauvé bien des oublis.
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