Premières nocturnes
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Premières nocturnes
Premières nocturnes.
Je viens d'avoir -et je l'ai encore, enfin un peu moins- la grippe la plus tenace, la plus absurde et la plus rancunière. Impossible de me permettre le moindre répit.Tenaillée entre une fièvre indescriptible et une toux inexplicable , je ne pouvais rien faire.J'étais inapte à tout: manger, parler et souvent ai dû décrocher le téléphone .Normal, les amies téléphonaient et parler me fatiguait autant que la tousserie. Et pourtant combien ma joie fut immense de pouvoir ..lire et relire..
J'ai été surtout heureuse de relire un roman dont j'ai choisi pour vous quelques passages.Il s'agit du roman merveilleux :"Première nocturne" du non moins merveilleux Jacques FOLCH-RIBAS. J'ai aujourd'hui l'immense plaisir de vous présenter ces pages choisies afin que vous découvriez , si ce n'est encore fait , cet écrivain de grand talent, au verbe fort, à l'expression juste et à l'idée douce et pénétrante.
Entre nous le choix de ces passages n'est nullement gratuit. Vous allez sûrement en découvrir la raison vous mêmes. Néanmoins, l'honnêteté m'oblige à vous avouer que ce sont plutôt ces passages qui m'ont choisie,harpée , m'ont dominées, m'ont agrippée à eux comme un poisson vulnérable, affamé devant un hameçon alléchant.
Monsieur, Jacques FOLCH-RIBAS, merci d'avoir décrit mon immense amour envers le français à ma place.Merci d'avoir dit exactement ce qu'est l'appartenance. Je veux en veux partiellement car vous avez quelque peu dérobé mes verbes, mes tournures, ma pensée , mon éternelle requête envers une partie qui nous rassemblerait tous.Vous m'en excuserez la présomption surement car en fait , je demeure jusqu'au dernier soupir, dont j'ignore la langue avec lequel je le rendrai , semblable à "tous les hommes, imbécile"
…. Olivier, devant l’Académie française, sur le quai. Soudain, il reconnaît le vieux : deux cabas tirant vers le bas les bras courts , un manteau déchiré à deux endroits, un chapeau de feutre, de petits yeux creux , tiens, il n’a pas ses bésicles ? Il l’aborde, veut se présenter—Aidez-moi donc à porter cela, plutôt. Ils s’en vont tous deux clopinant jusqu’au Luxembourg sous les regards fixes des passants qui se retournent. Les cabas débordent de pain et de viandes, c’est pour des chats accourus en entrechats, miaulements, queues en trémulation, mots d’amour en voix aigre, il a une voix acide. Et ensuite : --Venez me voir à Fontenay si vous voulez.
Il n’a pas dit quand, ni la meilleure heure, il n’a pas donné d’adresses. Olivier trouvera facilement, au journal.
Je suis allé voir Léautaud. Le matin, j’ai acheté deux douzaines de bougies à Saint-Sulpice, pour les lui offrir. Gros paquet, ce sont ces bougies qui m’ont servi d’entrée. Il m’a ouvert la porte et m’a fait asseoir. J’ai la scène dans mon souvenir avec la précision d’un dessin léché (tant pis pour le dessin). J’étais là devant cet homme qui avait dit son rêve, que sur sa tombe on put écrire « Ci gît Paul Léautaud, écrivain français ».Le mot français .Nous avons parlé, il a parlé, j’étais anesthésié. Je suis parti vers huit heures, il commençait à faire nuit, je me suis endormi dans le train de banlieue. Pourquoi suis-je si heureux de cette aventure ?
J’ai tout de même pu lui dire deux ou trois choses. Lui rappeler ce souhait : « Ecrivain français ». Moi bâtard, moi exilé, mais la langue ne donne pas la nationalité. La race ou quoi ? Il m’a regardé en pétillant de tout le visage, il aimait, il jouissait de quelques pensées jalousement secrètes. Il a consenti à me répondre comme on donne la pâtée à l’efflanqué descendu des gouttières par un chemin compliqué : ---Les chats de race fabriqués par les éleveurs et les snobs, pauvres bêtes, martyres, tandis que les bâtards, bien plus intelligents, plus forts : on se sert de leur sang pour sauver la race, ah, ah ! Il a ri, et ajouté : ----Qu’il est drôle ! En me regardant : --Vous êtes un petit imbécile.
Valéry, italien corse. Apollinaire, italo-polonais. Gary, juif russe. Montaigne, juif portugais …Hugo était-il espagnol ? Proust, demi- juif germain.
George Sand, quarteronne saxonne. Beckett, irlandais .Green, américain .Zola, fils d’italien. Dumas, métis antillais. Et je ne suis pas certain que Malherbe, avant qu’il vînt, ne fût allemand, n’est-ce pas ? Je suis sûrement un petit imbécile.
Et puis il y a cette langue , cette merveille qui est ma patrie, tiens , moi qui ris de tous les patriotismes , voilà que j’ai une patrie, ô l’incroyable niais tout ému de se blottir et de se réchauffer entre les bras d’une langue , mais c’est que je l’aime et la vénère puisqu’elle est la mer dans laquelle baigne mon corps, sur laquelle vogue le vaisseau de mes compagnons qui s’attachent aux mâts afin de résister à la séduction du langage inconnu , dans laquelle je trouve ma pitance lorsque la faim me torture, mots nourrissants et succulents , manières subtiles de percer les ténèbres de ma pensée , façons découvertes et inventées de dire le simple et le compliqué , langue douce comme le chant de la lyre et crue et salée lorsqu’il convient d’invectiver les ennemis, les sots et les laids , les fils d’esclave , les tortebite , voici que je n’avais rien et que j’ai une langue qui m’est venue en parlant, en écoutant, en lisant, en écrivant, comme tous les hommes, imbécile.
Pages 28-29-30. Edition ROBERT LAFFONT
Je viens d'avoir -et je l'ai encore, enfin un peu moins- la grippe la plus tenace, la plus absurde et la plus rancunière. Impossible de me permettre le moindre répit.Tenaillée entre une fièvre indescriptible et une toux inexplicable , je ne pouvais rien faire.J'étais inapte à tout: manger, parler et souvent ai dû décrocher le téléphone .Normal, les amies téléphonaient et parler me fatiguait autant que la tousserie. Et pourtant combien ma joie fut immense de pouvoir ..lire et relire..
J'ai été surtout heureuse de relire un roman dont j'ai choisi pour vous quelques passages.Il s'agit du roman merveilleux :"Première nocturne" du non moins merveilleux Jacques FOLCH-RIBAS. J'ai aujourd'hui l'immense plaisir de vous présenter ces pages choisies afin que vous découvriez , si ce n'est encore fait , cet écrivain de grand talent, au verbe fort, à l'expression juste et à l'idée douce et pénétrante.
Entre nous le choix de ces passages n'est nullement gratuit. Vous allez sûrement en découvrir la raison vous mêmes. Néanmoins, l'honnêteté m'oblige à vous avouer que ce sont plutôt ces passages qui m'ont choisie,harpée , m'ont dominées, m'ont agrippée à eux comme un poisson vulnérable, affamé devant un hameçon alléchant.
Monsieur, Jacques FOLCH-RIBAS, merci d'avoir décrit mon immense amour envers le français à ma place.Merci d'avoir dit exactement ce qu'est l'appartenance. Je veux en veux partiellement car vous avez quelque peu dérobé mes verbes, mes tournures, ma pensée , mon éternelle requête envers une partie qui nous rassemblerait tous.Vous m'en excuserez la présomption surement car en fait , je demeure jusqu'au dernier soupir, dont j'ignore la langue avec lequel je le rendrai , semblable à "tous les hommes, imbécile"
…. Olivier, devant l’Académie française, sur le quai. Soudain, il reconnaît le vieux : deux cabas tirant vers le bas les bras courts , un manteau déchiré à deux endroits, un chapeau de feutre, de petits yeux creux , tiens, il n’a pas ses bésicles ? Il l’aborde, veut se présenter—Aidez-moi donc à porter cela, plutôt. Ils s’en vont tous deux clopinant jusqu’au Luxembourg sous les regards fixes des passants qui se retournent. Les cabas débordent de pain et de viandes, c’est pour des chats accourus en entrechats, miaulements, queues en trémulation, mots d’amour en voix aigre, il a une voix acide. Et ensuite : --Venez me voir à Fontenay si vous voulez.
Il n’a pas dit quand, ni la meilleure heure, il n’a pas donné d’adresses. Olivier trouvera facilement, au journal.
Je suis allé voir Léautaud. Le matin, j’ai acheté deux douzaines de bougies à Saint-Sulpice, pour les lui offrir. Gros paquet, ce sont ces bougies qui m’ont servi d’entrée. Il m’a ouvert la porte et m’a fait asseoir. J’ai la scène dans mon souvenir avec la précision d’un dessin léché (tant pis pour le dessin). J’étais là devant cet homme qui avait dit son rêve, que sur sa tombe on put écrire « Ci gît Paul Léautaud, écrivain français ».Le mot français .Nous avons parlé, il a parlé, j’étais anesthésié. Je suis parti vers huit heures, il commençait à faire nuit, je me suis endormi dans le train de banlieue. Pourquoi suis-je si heureux de cette aventure ?
J’ai tout de même pu lui dire deux ou trois choses. Lui rappeler ce souhait : « Ecrivain français ». Moi bâtard, moi exilé, mais la langue ne donne pas la nationalité. La race ou quoi ? Il m’a regardé en pétillant de tout le visage, il aimait, il jouissait de quelques pensées jalousement secrètes. Il a consenti à me répondre comme on donne la pâtée à l’efflanqué descendu des gouttières par un chemin compliqué : ---Les chats de race fabriqués par les éleveurs et les snobs, pauvres bêtes, martyres, tandis que les bâtards, bien plus intelligents, plus forts : on se sert de leur sang pour sauver la race, ah, ah ! Il a ri, et ajouté : ----Qu’il est drôle ! En me regardant : --Vous êtes un petit imbécile.
Valéry, italien corse. Apollinaire, italo-polonais. Gary, juif russe. Montaigne, juif portugais …Hugo était-il espagnol ? Proust, demi- juif germain.
George Sand, quarteronne saxonne. Beckett, irlandais .Green, américain .Zola, fils d’italien. Dumas, métis antillais. Et je ne suis pas certain que Malherbe, avant qu’il vînt, ne fût allemand, n’est-ce pas ? Je suis sûrement un petit imbécile.
Et puis il y a cette langue , cette merveille qui est ma patrie, tiens , moi qui ris de tous les patriotismes , voilà que j’ai une patrie, ô l’incroyable niais tout ému de se blottir et de se réchauffer entre les bras d’une langue , mais c’est que je l’aime et la vénère puisqu’elle est la mer dans laquelle baigne mon corps, sur laquelle vogue le vaisseau de mes compagnons qui s’attachent aux mâts afin de résister à la séduction du langage inconnu , dans laquelle je trouve ma pitance lorsque la faim me torture, mots nourrissants et succulents , manières subtiles de percer les ténèbres de ma pensée , façons découvertes et inventées de dire le simple et le compliqué , langue douce comme le chant de la lyre et crue et salée lorsqu’il convient d’invectiver les ennemis, les sots et les laids , les fils d’esclave , les tortebite , voici que je n’avais rien et que j’ai une langue qui m’est venue en parlant, en écoutant, en lisant, en écrivant, comme tous les hommes, imbécile.
Pages 28-29-30. Edition ROBERT LAFFONT
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